Masqués mais visibles !
Pas de bouche, pas de nez mais des yeux ... Les pouvoirs du regard !
Regard d'amour, de tendresse, regard complice, regard amusé... Ou au contraire, le regard sans reconnaissance, le regard de colère, de mépris, celui qui juge, qui toise, qu'on évite. Regarder l'autre c'est communiquer avec lui. Le regard a un but, il porte un intention, une volonté, un désir.
Oscar Wilde écrivain, romancier et poète irlandais de l'époque, dit que "La beauté est dans les yeux de celui qui regarde", ce qui nous montre que le regard est bien plus important que la chose regardée.
Masqués à la crèche où chez l'assistante maternelle, il nous reste l'intensité de notre regard pour communiquer avec les enfants, ses collègues de travail et les parents qui arrivent eux aussi masqués.
Bien-entendu comme le disait Boris Cyrulnick mardi 26 mai dans son interview avec l'association Ensemble Pour l'Education de la Petite Enfance (EPEPE), la partie partie inférieure du visage est très importante pour le bébé qui accède au langage. Mais la voix même masquée est toujours là "la voix sculpte le langage de l' enfant" servons nous de la musique des mots comme il le dit, en plus de notre regard.
A quoi sert le regard ?
Au cours de ma formation sur la communication bienveillante et positive, je pose la question suivante: Quels moyens mettons nous en œuvre pour échanger avec l'autre? Ou bien que faisons nous pour être entendu et compris? La réponse est...l'expression verbale et l'expression non verbale avec le para-verbal qui considère à la fois l'intonation et la posture.
Même si cela paraît évident, votre position corporelle en dit long sur votre psychologie du moment. Avec ou sans masque, vous communiquez avec votre corps. Je mets alors les professionnel-le-s de crèche à l'épreuve d'un petit exercice visuel puissant. La consigne est de circuler dans la pièce en se croisant et en changeant de regard à chaque nouvelle personne rencontrée. Au fur et à mesure de l'exercice, je donne des consignes d'attitudes du regard à adopter: être tantôt, triste, joyeux, inquiet, content, anxieux, rassuré, en colère, timide, sur de soi. Il en ressort à chaque fois, un étonnement face aux intentions partagées si puissantes.
"Le regard est le souffle, la respiration du cerveau" selon Daniel Marcelli pédopsychiatre et auteur. Il est l'organe du sens, du partage d'intentions et d'émotions avec l'autre. Le regard prend toujours une signification, qu'on le veuille où non. Qu'il s'agisse d'un regard de politesse, de respect, de compassion, de tendresse ou, au contraire, d'ignorance, de mépris, de honte ou de haine.
Louis XIV utilisait son regard comme un rayon de soleil. Cela témoigne du fait que le regard est un instrument de pouvoir et le Roi-Soleil l'avait bien compris. Le bébé sait aussi jouer de son regard pour attirer notre attention, nous faire comprendre un besoin, une envie, un partage d'émotion. Il sait nous séduire. Le jeune enfant appelle notre regard et c'est tant mieux, c'est ce qui va lui permettre de communiquer avec nous. Il est indispensable de capter le regard de l'enfant pour lui montrer, lui prouver qu'on le voit, c'est une véritable marque de reconnaissance. Un regard d'adulte qui ne se pose pas sur celui d'un enfant peut avoir des conséquences sur son estime personnelle.
Une personne ayant bénéficié d'une reconnaissance d'autrui - des parents surtout - aura un regard habité et rempli raconte Daniel Marcelli dans son libre " Les yeux dans les yeux".
Rien que le fait de souligner son regard part "tu vois, je suis là" en s'adressant à l'enfant lorsque l'on s'approche de lui rassure et conforte. Ca fait partie de la prosodie qui désigne les intonations de la voix. "Il y a toujours une sorte de danse relationnelle dans l'échange des regards" Marcelli.
Et si le masque nous faisait prendre conscience de l'importance du regard, le sien et celui de l'enfant et des autres adultes?
Nous communiquons avec l'autre bout du monde et ignorons parfois nos voisins. On ne se regarde plus...et puis, est arrivé ce nouveau au drôle de nom "covid-19"! Il nous oblige a porter un masque qui recouvre la bouche et le nez. Nous voilà alors à demi visible "facialement" parlant! Les craintes légitimes, de comment allons nous communiquer, surtout avec les enfants, remplissent nos têtes. Je découvre en même temps en faisant les courses, nous nous voyons davantage. Une femme me cède la place en me faisant un sourire. Elle portait un masque, moi aussi mais son regard était porteur de se sourire. La même chose dans un boutique où deux petites filles "masquées" me regardent, je leur souris elles me sourient à leur tour. Partager le regard d'autrui, c'est ce qui nous rend profondément humain. Regardons-nous, regardons les touts-petits qui ont besoin d'être éclairés par notre regard et qui illumine tant les nôtres.
Ne prenons pas le risque de la déshumanisation le jour où nous pourront quitter nos masques! Gardons nous yeux grands ouverts !